Sur le Pont
J'ai marché pendant ce qu'il m'a semblé être une éternité avant de voir finalement le Pont devant moi. Certains disent qu'il enjambe un cours d'eau, mais il semblerait que cela ne soit qu'un canyon aride. Peut être est-ce l'épais brouillard du soir qui dissimule l'eau en dessous. J'étais épuisé ainsi que le soleil se couchait en face de moi, ce qui signifiait donc que la Porte était tout à fait derrière moi, comme on me l'avait toujours dit. A ce moment là je me senti fier d'être arriver jusqu'ici.
Comme j'allais vers le pied du Pont, la fraicheur du soir s'installa. Non loin, un Corbeau à l'entrée du pont croassa. Ce fut là, sous un vieu chêne, que je passais la nuit.
Je me réveillais soudainement aux premières lueurs du jour et entendis encore une fois l'appel du Corbeau. Comme je marchais vers le Pont, savourant la douce brume matinale, une voix me surprit.
"Je n'ai jamais mis un pied sur ce Pont, ni sur aucun autre auparavant dans ma vie," dit-il. L'homme était aveugle.
"Je suis seul ici mendiant mon petit déjeuner." C'était un saint homme, un moine de la montagne. Une épaisse couche de poussière couvrait son visage et masquait son âge.
Je lui parlais de mon voyage et le fait que je sois voyageur l'intéressa. "Tu fais parti d'une espèce en voie d'extinction," me dit-il. Lorsque je lui demandais ce qu'il faisait lui de sa journée, il me répondit que cela était justement son travail - de conseiller ceux qui désiraient traverser.
Je regardais le pont qui s'allongeait devant moi.
"Ah, le Pont," dit-il. "C'est dangereux. Je me suis souvent demandé pourquoi certaines personnes souhaitent traverser cette barrière. Les risques sont nombreux."
Pendant qu'il parlait, un grand Corbeau apparut et se percha sur l'épaule du moine. Regardant le Corbeau le moine dit "Il y a des gens qui voient le Corbeau comme un oiseau de haine... Moi je sais que c'est un oiseau d'amour. C'est ainsi et tu dois comprendre que tout ce qui est ici ne peut pas être vu par les yeux."
Il me sourit comme je commençais ma route sur le Pont.
"Bonne chance," l'entendis-je crier.
Il y avait quelque chose dans la brise de ce matin là, une certaine tension dans l'air.
Le Pont était solide et robuste, fait d'un bois dont l'ancienneté même faisait que l'on ne pouvait lui donner d'âge. Mon voyage était une desertion. Une façon d'échapper à tout ce que je croyais, je ne pensais pas cela possible. C'était une quête pour la vérité; une quête de réponses. J'ai laissé beaucoup de choses derrière moi pour cette recherche.
Comme les heures passaient, la chaleur montait et je n'avais toujours rencontré personne depuis mon départ sur le Pont. Finalement, dans le soleil de fin d'après-midi je vis la figure rampante d'un homme venant vers moi. Je pus distinguer son marmonnement dissonant.
"De l'eau," murmurait-il.
Je réalisais alors que je n'en avais pas non plus.
Juste au moment où je voulais le lui dire, un énorme craquement de lumière déchira le ciel et les cieux s'ouvrir pour laisser s'échapper un puissant déluge de pluie. Je sortis ma gourde et commençais à récupérer l'eau tout en me dirigeant vers l'homme.
" Je me suis laissé dire qu'il y a un cours d'eau qui coule sous ce Pont," lui dis-je en approchant.
" Cela devait être il y a des années," dit-il s'accroupissant lentement et prenant une longue gorgée dans une flaque. "Il n'y a tout bonnement pas d'eau sous ce Pont."
L'on pouvait voir qu'il avait voyagé longtemps et qu'il était cassé et faible. "Combien de temps dure ce parcours?" lui demandais-je. "Combien de temps pour aller de l'autre coté?"
"C'est sans espoir... complétement sans espoir. C'est trop loin et il n'y a pas de sol solide de l'autre coté," dit-il et lentement et douloureusement il repris sa route.
Je l'appellais, "Et quoi? Ce Pont est bien traversable. Tu es allé si loin, comment peux-tu faire demi-tour maintenant?" Il n'y eu pas de réponse, seulement l'ombre de son départ s'effaçant. Avec lui parti la pluie et le soleil apparu à nouveau.
Le crépuscule approchait lentement pendant que je continuais mon voyage. Le Pont s'avançait encore et encore. Beaucoup de temps s'était écoulé depuis mon départ et j'aurais dû avoir faim et être fatigué, mais je ne sentais rien. Tout ce que je voulais c'était persévérer. Après un jour complet de marche le bout du pont n'était toujours pas en vue.
Je réalisais qu'il commençait à faire très froid. Le ciel s'obscurcit et devint complétemment sombre comme si la nuit était déjà là depuis longtemps. L'air était froid et soudainement il se mit à neiger.
La chute de température fut si forte que mon corps se raidit dans un nuage de condensation. C'est alors que l'épuisement eu finalement le dessus sur moi.
Soudainement, sans crier gard, comme allumant la lumière dans une pièce sombre, le soleil monta. Je me sentis lentement tomber lorsque tout à coup une main me retint par les pieds. Avant que je sois debout je vis le vieil homme couvert des pieds à la tête par un vêtement blanc. Il me portait avec une seule main
"As-tu vu l'autre coté?" lui demandais-je deséspérement.
"As-tu vu l'autre coté?"
"C'est là d'où je viens," me répondit-il.
"Mais le Pont est tellement long et très tôt j'ai rencontré un homme qui n'a pas réussi à le traverser, qui n'est jamais arrivé de l'autre coté."
"Il a dû s'être perdu," repliqua le vieil homme.
Comment peut-on se perdre sur un pont? Cela n'a pas de sens, cela posait beaucoup de question.
Comme pour répondre à mes pensées l'homme dit "Souviens toi, rien sur le Pont n'est ce qu'il semble être."
Nous nous assîmes et je pris une petite gorgée de ma gourde. Le vieil homme recommença à parler.
"Ici, sur le Pont, chacun peut sentir une énergie particulière, chacun peut apprécier le pouvoir de la volonté libre. Le soleil peut se coucher, la lune peut monter, les ouragans peuvent souffler, tous s'accordant avec l'énergie d'ici. Ce Pont a été construit comme un trait d'union entre deux points. Les gens qui l'ont construit on vécu ici il y a des millénaires et on dit qu'il y a trois générations ils sont tous partis. Certains disent qu'ils ont été chassé par une grande catastrophe mais il y a aussi une rumeur qui dit qu'ils se sont élevés par delà notre monde physique. Les gens d'aujourd'hui, qui se sont installé ici, mon peuple, ont placé des gardes sur le pont pour controler les vas-et-vient, pour aider à équilibrer l'énergie."
Son regard perçant lentement se concentra au centre exact de mon corps.
"Ton collier, la pierre, je la connais. D'où vient-elle?" me demandat-il.
Je regardais la caillou nuancé de bleu-gris qui pendant nonchalament à mon cou. "C'est une pierre qui vient des Chutes près de chez moi." dis-je.
"Tu as fait un long chemin." conclut-il
Le vieil homme était très sage et avait parcouru de vastes distances à travers toute la région. Comme il parlait le soleil commença à décliner rapidemment derrière son épaule droite et la Porte encore une fois était derrière moi. Nous restions assis, regardant tranquillement le ciel se changer en nuit.
Il pris une gorgée de ma gourde, et c'est alors que je réalisais qu'il voyageait sans sac, sans nourriture et sans eau. Je posais sur lui des yeux interrogateurs, il me sourit doucement et dit, "Je n'ai pas besoin de ce genre de choses. Je ne porte que mon amour. Ainsi que mon coeur et mon âme. C'est tout ce dont on a besoin pour chaque journée de la vie."
A ce moment là, un grand rayon de lumière perça l'obscurité à l'Est du ciel et je plissais les yeux alors que le soleil faisait son chemin à l'horizon. Ce vieil homme était un protecteur de l'énergie du Pont, un gardien sage, qui pouvait influer sur la lumière et l'obscurité.
C'est ensuite que je commençais à comprendre mon voyage.
Malgrés ma désillusion, mon esprit se portait bien.
"Nous devons utiliser notre énergie, venir et rallier les gens pour evoluer intelligeamment." dis-je.
"C'est vrai," dit-il, "mais nous devons le faire sans violence."
"Quand nous parlons d'évolution," il continua, "Nous devons être sûr d'évoluer dans une direction positive. Toi et les générations à venir devez balayer cette mentalité de guerrier. Vous devez trouver des réponses de manière pacifique et de façon à montrer de l'amour et du respect mutuels."
Nous restions un moment dans le silence de la reflexion.
"Et pour ce qui est de ceux qui influent négativement la vie?" demandais-je.
"Tout ce qui est présent dans la vie est énergie, autant ce qui est positif que négatif. Cette énergie est libre et vit dans tout. Puisque j'aime la vie et tout ce qui est ici, j'aime aussi la haine, l'envie, la vanité, et tous ces aspects de la négativité, puisqu'eux aussi font parti de la vie. Laisse-les simplement faire face à leurs erreurs et ils périront."
Je restais un moment le regardant dans les yeux, essayant de comprendre l'entière signification de ses paroles.
"Avant que tu ne soit submergé par ces pensées, souviens toi que certaines choses ne deviennent claires que grâce à la reflexion et au passage du temps. Tu dois être fort dans tes croyances, concentré dans tes actions, et patient pour voir venir le changement."
Il y eu un silence jusqu'à ce qu'il conclut, "Nous approchons rapidemment l'âge de la non-existence. En tant que sincères amoureux de la vie, nous cherchons à la préserver et à la protéger. C'est pourquoi je suis ici, sur ce Pont, guidant ceux suffisamment brave pour passer la journée. A présent tu as deux possibilités, tu peux faire demi-tour et revenir aux choses que tu connais, ou tu peux continuer et découvrir ce qu'il y a de l'autre coté."
Comme nous nous levions pour partir je dis,
"Je me demande si j'arriverai jamais au sol dur de l'autre coté."
Instantanément son chaud sourire me laissa l'âme en paix. Je me tournais lentement vers le chemin et reprenais mon voyage encore une fois. Une chaude brise me caressa le visage en même temps que les mots "tu y parviendra" résonnaient dans mon esprit.
Le jour se laissait lentement vaincre par la nuit et je continuais seul ma route. Le Pont de bois semblait solide. Le bruit de mes pas devinrent ma méditation et plus je marchais, plus je m'aventurais profondément à l'intérieur de moi-même. Quand, finalement, je pris conscience que la nuit s'était installé et que la lune était pleine dans un ciel autrement plus vide. Pendant plusieurs heures je continuais dans l'obscurité jusqu'à ce que du profond brouillard sorti rapidement une personne en manteau. "Des nouvelles de l'autre coté?" demandais-je, mais la personne disparu à nouveau dans l'obscurité.
Je trouvais ça bizarre qu'une nuit comme celle là, avec si peu de rencontre, quelqun voulût ignorer la présence d'un étranger sur ce Pont. Je commençais par mettre cela sur le compte des ombres de la nuit - peut être ne m'avait-il pas vu - mais ensuite je me rappelais clairemment, qu'à un moment donné, nos regards s'étaient croisé. Je continuais à me poser des questions tout en reprenant lentement mon chemin. Pas à pas, un pied après l'autre. Le rythme de la marche me rappela à la méditation. Lentement et avec le temps je me rendis compte qu'il y avait quelque chose de changé dans le bruit de mes pas. La lune avait disparu depuis un moment derrière un nuage et je m'arrêtais pour essayer de me concentrer sur ce qui m'entourait. L'épaisse obscurité m'opressait et je commençais à ressentir une grande peur. Je touchais le bord du Pont qui était froid et dur. C'est alors qu'une lumière descendant du ciel éclaira un instant ce qui m'entourait. Je découvrais que le Pont de bois était devenu un Pont de métal et de fer. Il y a avait des arches au dessus de ma tête et de gros cables accrochés ensemble suspendaient le tout. Comme le flash de lumière s'éteignit je bassais la tête et regardais sous le Pont et je pus distinguer ce qui semblait être une mer de visages. Etait-ce les visages de ceux qui avant moi avaient essayé de passer la journée et avait faillit? Ma peur s'intensifia.
Je restais debout complétement paralysé, me demandant où j'étais arrivé. C'était impossible - il avait dû y avoir une bifurcation. Le Pont avait du se diviser. Je regardait derrière moi lorsque je senti quelque chose à l'intérieur de moi. C'était un lent grondement qui sembla s'amplifier avec l'arrivée d'un second. Le rythme tonnant continua, mais à présent un nouveau s'élevait au dessus des autres. Il venait de derrière moi et ressemblait au son du métal que l'on tord. En une fraction de seconde je réalisais que c'était toute l'armature du Pont qui penchait lentement - sa structure entière était entrain de s'effondrer. Je me mis à courir de toutes mes forces pendant que le Pont s'éffritait sous mes pieds. Etrangement, à travers le bruit j'entendis le cris déchirant d'une hirondelle des montagnes et je sus alors que la terre ferme était proche. Je courais droit devant, vers ce que je savais être la fin du pont et me penchais en avant pour augmenter ma vitesse jusqu'à ce que je vacille et tombe à travers l'ossature du Pont. Sous moi, à travers la poussière et les décombres je pus bizarrement distinguer les visages enchainés. Au dessus de moi je vis l'hirondelle des montagnes qui était non loin de chez elle. Au dernier moment je sautais de toutes mes forces de l'autre coté.
Maintenant que je suis ici sur la terre ferme, je sais que j'ai fait le bon choix et je m'interroge au sujet des gens que j'ai rencontré, espérant qu'ils s'en soient sorti sain et sauf. Je n'ai aucun idée d'où mène le chemin en face de moi, ni ne sais si je retournerais un jour d'où je viens. Tout ce dont je suis sûr c'est que j'ai traversé le Pont, que la Porte est derrière moi et que ma journée est loin d'être finie.