PREFACE
En 1998 trois étudiant en jazz de la Sonoma State University (Nord de la Californie) se sont rassemblés pour former Groundation. Depuis lors leur message et leur musique est devenu un mouvement mondial. Ceci est une petite histoire à propos des concepts de leur dernier album, Upon the Bridge. La musique est riche et les paroles se filent en métaphores décrivant un temps au-delà d'aujourd'hui.
Ce n'est en aucune sorte un résumé de l'album, mais une histoire se positionnant en compagnon de la musique qui y figure. En oûtre elle essaie de donner à l'auditeur un aperçu des liens avec leur travail antérieur et des thèmes qui lui sont sous-jaçents. La musique de Groundation évolue en permanence. Ce sont des musiciens qui marchent sur le fil qui sépare l'harmonie de la dissonance. S'efforçant de rester libre de créer la musique qu'ils aiment.
"I man just a chanting for your crisis, playing music for no prizes" - Groundation ("Sleeping Bag-o-Wire")
("Je chante seulement pour ta peau/vie, ne joue de de la musique pour aucun lot/prix")
J'avais marché pendant ce qui m'a semblé être une éternité avant de finalement voir le Pont en face de moi. Les gens disaient autrefois que ce grand Pont traversait une source d'eau douce, mais ce jour-là il semblait s'étendre seul par dessus un canyon asséché. Peut-être l'épais brouillard du soir cachait-il l'eau d'en dessous. J'étais épuisé alors que devant moi se couchait le soleil, ce qui signifiait que la Porte était quasiment droite derrière moi, exactement comme on m'avait dit. A ce moment, j'étais très fier d'en avoir été arrivé là.
Alors que je me diraigeais vers le pied du Pont, le froid du soir s'installa. Au loin, le Corbeau qui demeurait à l'entrée du Pont poussait des cris. C'était là-bas, à la base d'un chêne, que j'ai passé la nuit.
Je me réveillai soudainement aux premiers rayons du soleil et j'entendis encore une fois le cri du Corbeau. Alors que je marchais vers la base du Pont, profitant de la fraîche brume matinale, une voix me surprit.
"Je n'ai jamais marché sur ce Pont ni sur aucun autre de toute ma vie," dit-il. L'homme était aveugle.
"Je suis ici tout seul à mendier ma nourriture du matin." C'était un saint, un Moine venant des collines. Une épaisse couche de poussière recouvrait son visage et on ne pouvait donc deviner son âge.
Je lui parlai de mon voyage et le fait que j'étais un 'voyageur' l'interessa. "Tu fais parti d'une espèce en voix de disparition," me dit-il. Quand je lui ai demandé ce qu'il faisait toute la journée, il me répondit que c'était son travail - de conseiller ceux qui veulent tenter la traversée.
Je regardai le grand Pont qui s'étendait devant moi.
"Ah, le Pont," dit-il. "C'est dangereux. Je me suis souvent demandé pourquoi quelqu'un tenterait de traverser cet obstacle. Nombreux sont les risques."
Alors qu'il parlait, un gros Corbeau apparu et se posa sur l'épaule du Moine. En regardant le Corbeau, le Moine dit "Certain voient le Corbeau comme l'oiseau de la haine... Je sais qu'il est l'oiseau de l'amour. Donc toi aussi tu dois comprendre qu'ici tout ne peut se voir avec les yeux."
Il me souria alors que je commençais ma route sur le Pont.
"Bonne chance" l'entendis-je me dire.
Il y avait quelque chose dans l'atmosphère ce matin-là, un certain piquant dans l'air.
Le Pont était solide et robuste, composé de bois qui bien qu'ancien paraissait ne jamais avoir vieilli. Mon voyage était une désertion. C'était un moyen d'échapper à tout ce dont je croyais, mais je pensais que jamais cela ne serait possible. C'était aussi une quête de la vérité; une quête des réponses. J'ai laissé beaucoup derrière moi pour cette recherche.
A mesure que les heures avançaient il faisait plus chaud et je n'avais toujours pas croisé quelqu'un depuis que j'étais sur le Pont. Finalement, à la fin de l'après-midi je vis la silhouette rampante d'un homme venant vers moi. J'arrivai à peine à déchiffrer son marmonnement rauque.
"De l'eau," murmura t-il.
Alors, j'ai réalisé que moi non plus je n'en avais pas.
Juste au moment où j'allais le lui dire, un énorme coup de tonnerre déchira le ciel vieillissant et les cieux se mirent à délivrer une grande pluie torrentielle. Je sorti mon bidon et je commençai à collecter l'eau qui tombait pendant que je marchais vers l'homme.
"Il parrait qu'il y avait une source d'eau douce qui coulait sous le Pont," dis-je en approchant.
"Ca devait être il y a bien longtemps," dit-il en s'accroupissant pour prendre une énorme gorgée dans une flaque. "Il n'y a absolument aucune eau sous le Pont."
Je pouvais voir qu'il avait voyagé longtemps et qu'il était cassé et faible. "Combien de temps dure le voyage?" demandai-je. "Combien de temps faut-il pour parvenir de l'autre côté?"
"C'est sans espoir... C'est vraiment complètement sans espoir. C'est trop loin et il n'y a pas de terre ferme de l'autre côté," dit-il et il repartit lentement et douloureusement de son côté.
Je lui criai, "Et traverser le Pont alors? Vous êtes allé si loin, pourquoi faire demi tour maintenant?". Il n'y eu aucune réponse, juste la flétrissante ombre de son départ. Avec lui la pluie cessa et le soleil apparu de nouveau.
Le crépuscule approchait lentement à mesure que je continuais mon voyage. Le Pont n'en finissait plus. Cela faisait si longtemps que j'avais pris le départ que j'aurais dû être fatigué et en manque de nourriture, mais je ne sentais rien. Tout ce que je voulais était poursuivre sur ma lancée. Après un jour entier de marche la fin du Pont n'était toujours pas à l'horizon.
Au bout d'un moment je rélisai que le temps devenait très froid. Le ciel devint sombre, totalement sombre comme si la nuit s'était installée depuis longtemps. L'air était glacial et soudain il commença à neiger. La chûte de la température était si extrême que mon corps se tendit avec sur lui de la sueur glacée. C'est là que l'épuisement s'empara de moi.
Soudainement, sans préavis, comme allumant la lumière dans une pièce sombre, le soleil se dressa en haut et rayonna. Je me sentis tomber lentement quand tout à coup une main me redressa sur les pieds. Devant moi se tenait un viel homme couvert de la tête aux pieds par de longues épaisseurs de vêtements blancs. Il me supportait d'une seule main.
"Avez-vous vu l'autre côté?" lui demandai-je désespéré.
"Avez-vous été de l'autre côté?"
"C'est de là d'où je viens," répondit-il.
"Mais le Pont est si long et plus tôt j'ai rencontré un homme qui n'est jamais parvenu à le traverser, qui n'est jamais parvenu jusqu'à l'autre côté."
"Il a du perdre sa route," répondit le vieil homme.
Comment peut-on se perdre sur le Pont? Ca ne voulait plus rien dire, il y avait tant de questions.
Comme si il lisait dans mes pensées l'homme me dit "rappelle-toi, sur le Pont rien n'est comme il parraît."
Nous nous assîmes et je pris une petite gorgée de mon bidon. Le vieil homme recommença à parler.
"Ici sur ce Pont on peut sentir une énergie spéciale, on peut apprécier la force du désir libéré. Le soleil peut se coucher, la lune peut briller, et les ouragans peuvent souffler, tout ici est selon l'énergie. Le Pont a été construit comme une union entre deux points. Les gens qui l'ont construit ont vécu ici il y a des milliers d'années et on dit qu'en à peine trois générations, ils furent tous partis. Certain disent qu'ils ont été balayés par une grande catastrophe mais il y a une rumeur qui dit qu'ils sont montés au delà de notre monde physique. Les gens des temps modernes qui se sont installés ici, mon peuple, ont placé sur le Pont des gardiens spéciaux pour contrôler les 'allées et venues', pour aider à gérer, à équilibrer, cette énergie."
Ses yeux perçants se focalisèrent lentement vers le centre de mon corps.
"Ton collier, la pierre, je les connais. D'où viennent ils?" me demanda t-il.
Je regardai mon cailloux bleu-gris érodé par la pluie et le vent qui pendait de mon cou. "C'est une pierre de la Cascade prêt de chez moi," dis-je.
"Tu viens de loin," répondit-il.
Le vieil homme était très sage et avait abondamment voyagé à travers la région. A mesure qu'il parlait le soleil se couchait juste au-dessus de son épaule droite et la porte était encore une fois derrière moi. Nous nous sommes ensuite tranquilement assis contemplant le ciel s'assombrir jusqu'à la tombée de la nuit.
Il prit une petite gorgée de mon bidon, et c'est là que je réalisai qu'il voyageait sans sac, sans nourriture, sans eau. Je le regardai d'un air interrogatif et il souria tendrement et dit,
"Je n'ai pas besoin de telles choses. J'ai pris mon amour. Mon coeur et mon âme également. C'est tout ce dont on a besoin pour le voyage de la vie."
A ce moment un superbe rayon de lumière perça le ciel à l'Est et je plissai des yeux à mesure que le soleil approchait à pas de loup l'horizon. Ce vieil homme devant moi était un protecteur de l'énergie du Pont, un gardien sage, dont la volonté peut influer sur la lumière et l'obscurité.
C'est alors que je commençai à comprendre mon voyage. Malgré ma désillusion, mon présentiment était correct.
"Nous devons utiliser notre énergie pour nous rassembler, pour ralier les gens entre eux, pour évoluer intélligemment," dis-je à l'homme.
"C'est vrai," répondit-il, "mais on ne doit jamais utiliser la violence dans ce but."
"Quand nous parlons d'évolution," poursuivit-il, "Nous devons nous assurer d'évoluer dans une direction positive. Vous et les générations futures devez vous affranchir de cette mentalité de guerrier. Vous devez trouver les réponses avec des moyens pacifiques et avec des moyens qui décrivent l'amour mutuel et le respect."
Nous nous assîmes un moment et réfléchissâmes silencieusement.
"Et que faire de ceux qui semblent influer de manière négative sur la vie," demandai-je.
"Ce qui est toujours présent dans la vie c'est l'énergie, positive et négative. Cette énergie est libre et circule librement partout. Puisque j'aime la vie et tout ce qui repose ici, j'aime donc aussi la haine, la jalousie, l'avidité, et tous les aspects du négatif, car ils font aussi partie de la vie. Laisse les juste faire face à leurs torts et ils vont y laisser leur vie."
Je m'assis un moment en fixant ses yeux, essayant de comprendre le sens complet de tout ce qu'il me dit.
"Avant que tu sois imprégné de ces pensées, rappelle-toi que certaines choses ne deviennent claires seulement à travers la réfléxion et le temps qui passe. Tu dois être fort dans tes croyances, focalisé sur tes actions, et sois patient, les changements se produiront."
Nous restâmes assis en silence un moment jusqu'à ce qu'il concluât, "Nous approchons à grands pas l'ère de la non-existence. Nous, véritables amoureux de la vie, cherchons à préserver et à protéger cette vie. Et donc, je suis ici sur ce Pont pour guider les personnes assez braves qui tentent ce voyage. A ce moment précis, tu as deux choix, tu peux faire demi tour et retourner vers les choses que tu connais, ou tu peux poursuivre ton voyage et apprendre ce qu'il y a de l'autre côté."
Comme on était sur le point de se quitter je dis,
"Je me demande si j arriverai un jour à atteindre la terre ferme qui est de l'autre côté."
Son sourire chaleureux me tranquilisa immédiatement l'esprit. Je me dirigeai doucement vers le chemin devant moi et commençai encore une fois mon voyage. Un vent chaud toucha mon visage en même temps que les mots "tu vas le faire" firent écho dans ma tête.
Alors que le jour cédait du terrain à la nuit, je continuais mon voyage seul. Sous mes pieds le Pont de bois semblait solide. Les sons que faisaient mes pas devinrent ma méditation et plus je marchais, plus je m'aventurais profondément à l'intérieur de
moi. Quand je pris finalement connaissance de mon environnement la nuit était venue et la lune était pleine dans un ciel qui autrement était vide. Je poursuivis mon voyage pendant des heures encore quand une silhouette masquée m'approcha à vive allure dans le brouillard épais. "Des nouvelles de l'autre côté?" demandai-je, mais la silhouette se volatilisa de nouveau dans la pénombre.
Je trouvai ça bizarre que pendant une nuit comme celle-là, avec peu d'autres voyageurs, quelqu'un pouvait ainsi ignorer un étranger sur ce Pont. Au début je mis ça sur le compte des ombres nocturnes - peut-être qu'il ne m'a pas vu - mais ensuite je me suis rappelé clairement que, pendant un moment précis, nos regards s'étaient croisés. Je continuai à me poser des question à propos de celà tout en poursuivant lentement vers l'avant. Pas à pas, un pied après l'autre. Le rythme de ma démarche me mena de nouveau en état de trance. Lentement et au fur et à mesure que le temps passait je réalisai que le bruit de mes pas avait d'une manière ou d'une autre changé. Avant ils étaient bruyants, ils sonnaient vides désormais. La lune était depuis longtemps couverte par un nuage nocturne et je m'arrêtai pour observer mes alentours. Une épaisse pénombre m'engloba et je commençai à éprouver une grande peur. Quand je touchai le bord du Pont, celui-ci sembla froid et ferme. C'est alors qu'un flash provenant du ciel illumina mon environnement pendant un moment. Et je découvris que le Pont en bois était devenu un Pont de métal et d'acier. Il s'arquait au-dessus de moi et il y avait des cables épais enroulés ensemble pour le maintenir suspendu. Quand le flash de lumière s'atténua, je regardai en contre-bas du Pont et je pu presque distinguer ce qui semblait être une mer de visages. Etait-ce les visages de ceux qui ont essayés le voyage avant moi et qui ont échoués?
Mon sentiment de peur s'intensifia.
Je restai malgré tout debout, presque paralysé me demandant qu'est-ce que j'étais devenu. C'était impossible - il y a dû y avoir un embranchement. Le Pont a dû bifurqué. J'envisageai de faire demi tour quand je sentis quelque chose de profond en moi. C'était un lent grondement qui sembla devenir plus fort dans la seconde. Le fracas redondant continuait, seulement maintenant un nouveau grondement se battit par dessus. Cela venait de derrière moi et ça sonnait comme du métal qu'on tord. Une petite seconde plus tard je vins à réaliser que la structure du Pont se déformait lentement - toute la structure s'effondrait. Je commençai à courir en rassemblant toutes mes forces alors que le Pont s'écroulait sous mes pieds. Etonnamment, j'entendis à travers tout ce bruit le cri aigu d'une hirondelle des montagnes et d'une manière ou d'une autre je savais que la terre ferme était proche. Je courru à toute allure vers ce que je savais être la fin du Pont. Je me penchais en avant pour favoriser mon dynamisme afin de ne pas vaciller et tomber dans le tissu squelettique du Pont. En dessous de moi, à travers la poussière et les décombres, je pu distinguer d'étranges silhouettes enchaînées. Au-dessus de moi je vis l'hirondelle des montagnes pas loin de sa maison. Au dernier moment, je sautai et me jetai de toute mes forces vers l'autre côté.
Maintenant que je demeure ici en terre ferme je sais que j'ai fait le bon choix et me pose des questions sur les personnes que j'ai croisée et espère qu'elles s'en sont bien sorties. Je n'ai aucune idée vers où le chemin devant moi mène ou si je ne vais pas un jour retourner en arrière. Tout ce dont je suis sûr c'est que j'ai franchi le Pont, que la Porte est derrière moi et que mon voyage est loin d'être terminé.